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3. Peut-on être heureux sans prendre de plaisir ?

Sommaire

Le cercle vicieux du désir

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation (1818)
Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrance, tant qu’il n’est pas satisfait. Or, nulle satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l’état de souffrance ; pas de terme dernier à l’effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance […]
Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui ; leur nature, leur existence, leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme.
1. Expliquez en quoi le désir est un cercle vicieux. Faites une carte mentale pour le visualiser.
2. Quel problème pose la définition du désir de Schopenhauer en ce qui concerne notre quête de bonheur ? Comment résoudre ce problème ?

Exercice : Expliquez la citation suivante.

« On aime mieux la chasse que la prise » (Blaise Pascal)

  1. Qu’est-ce que cette métaphore nous dit-elle du bonheur ?
  2. En quoi cela contredit-il la thèse de Schopenhauer dans le texte précédent ?

Faire son bonheur

Alain, Propos sur le bonheur (1925)
On dit communément que tous les hommes poursuivent le bonheur. Je dirais plutôt qu’ils le désirent, et encore en paroles, d’après l’opinion d’autrui. Car le bonheur n’est pas quelque chose que l’on poursuit, mais quelque chose que l’on a. Hors de cette possession il n’est qu’un mot. Mais il est ordinaire que l’on attache beaucoup de prix aux objets et trop peu de prix à soi. Aussi l’un voudrait se réjouir de la richesse, l’autre de la musique, l’autre des sciences. Mais c’est le commerçant qui aime la richesse, et le musicien la musique, et le savant la science. « En acte » (1), comme Aristote disait si bien. En sorte qu’il n’est point de chose qui plaise, si on la reçoit, et qu’il n’en est presque point qui ne plaise, si on la fait, même de donner et recevoir des coups. Ainsi toutes les peines peuvent faire partie du bonheur, si seulement on les cherche en vue d’une action réglée et difficile, comme de dompter un cheval. Un jardin ne plaît pas, si on ne l’a pas fait. Une femme ne plaît pas, si on ne l’a conquise. Même le pouvoir ennuie celui qui l’a reçu sans peine. Le gymnaste a du bonheur à sauter, et le coureur à courir ; le spectateur n’a que du plaisir. Aussi les enfants ne manquent pas le vrai chemin lorsqu’ils disent qu’ils veulent être coureurs ou gymnastes ; et aussitôt ils s’y mettent, mais aussitôt ils se trom­pent, passant par-dessus les peines et s’imaginant qu’ils y sont arrivés. Les pères et les mères sont soulevés un petit moment, et retombent assis. Cepen­dant le gymnaste est heureux de ce qu’il a fait et de ce qu’il va faire ; il repasse dans ses bras et dans ses jambes, il l’essaie et ainsi le sent. Ainsi l’usurier, ainsi le conquérant, ainsi l’amoureux. Chacun fait son bonheur.
(1) “En acte” : Dans sa philosophie, Aristote distingue l’acte et la puissance : la puissance est la potentialité d’une chose, l’acte est la chose en puissance qui devient réelle. Exemple : le bourgeon est la fleur en puissance, la fleur est le bourgeon en acte.
1. Quelle différence Alain fait-il dans ce texte entre plaisir et bonheur ?
2. Comment peut-on être heureux, selon lui ?
3. Comment se justifie-t-il ?

Complément : Le bonheur de Forrest Gump

Forrest Gump est une comédie dramatique de Robert Zemeckis, sorti en 1994. Le film relate la vie mouvementée de Forrest Gump (incarné par Tom Hanks), un « simple d’esprit » qui se retrouve impliqué — le plus souvent involontairement — dans les principaux événements qui marquent l’histoire des États-Unis d’Amérique, entre les années 1950 et les années 1980. Lors de son premier jour d’école, Forrest fait la connaissance de sa camarade de classe Jenny Curran, les deux devenant ensuite de bons amis. Mais Forrest est souvent harcelé à l’école, à cause de son handicap physique et de sa faible intelligence. Un jour, alors qu’il est importuné une nouvelle fois par ses harceleurs, Jenny lui crie « Cours Forrest, cours ! » et, alors qu’il s’efforce de courir, on voit les prothèses de Forrest se rompre puis se détacher, libérant le garçon qui court à toute vitesse. Forrest se révèle être un coureur de fond très véloce et endurant. Sa vie consistera alors à courir, sans but visible.

EXERCICE

Regarder les deux extraits et répondre :

  • Extrait n°1 : Qu’est-ce qui pousse Forrest Gump à courir la première fois ? Est-ce un choix ?
  • Extrait n°2 : Pour quelle raison Forrest passe-t-il ensuite son temps à courir ? En quoi cela illustre-t-il la thèse d’Alain sur le bonheur ? A quelle autre conception du bonheur cela s’oppose-t-il ?

“Cours, Forrest, cours !”

“J’avais juste envie de courir”

La joie

Bergson, L’Énergie spirituelle, « La conscience et la vie » (1919)
Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, phy­siquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l’artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. […] Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d’être dans une création qui peut, à la différence de celle de l’artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi (…).
1. Qu’est-ce qui différencie joie et plaisir pour Henri Bergson ?
2. En quoi consiste le bonheur, selon lui ?